Pourquoi faut-il garantir les droits fonciers des femmes ?

« Pourquoi faut-il garantir les droits fonciers des femmes ? N'est-il pas suffisant que le foyer possède des terres ? » Cette question, Agnes Quisumbing, chercheur à l'IFPRI (International Food Policy Research Institute), l'entend de manière récurrente en provenance des quatre coins du monde en développement, mais aussi, phénomène plus perturbant, de la part des législateurs et des responsables gouvernementaux.

Comme l'ont montré des études approfondies, la réponse à cette question est triple :

Moins de pauvreté, moins de vulnérabilité

Premièrement, la garantie des droits fonciers réduit la pauvreté et la vulnérabilité. Lorsqu'une famille possède des terres, elle risque moins de tomber dans la pauvreté car ces terres sont synonymes d'approvisionnement alimentaire. Elles agissent également comme une garantie. Il est important pour une femme de disposer de ses propres droits fonciers au cas où elle se retrouverait seule, à la suite d'un divorce ou d'un veuvage. Dans de nombreuses sociétés, les droits fonciers des femmes n'existent que par l'intermédiaire d'un parent de sexe masculin, qu'il s'agisse de leur père ou de leur mari. En cas de décès du mari ou de divorce, les femmes perdent souvent leur droit d'accès aux terres, ce qui les place, elles et leurs enfants, en situation de précarité.

Pendant la crise mondiale des prix alimentaires de 2007-2008, les femmes éthiopiennes chefs de famille ont été plus nombreuses que les hommes à indiquer que leurs ressources, les revenus de leur foyer et leur consommation avaient chuté en raison de la hausse des prix des aliments. Les foyers dirigés par des femmes sont également plus pauvres et ils ont été dans l'incapacité de satisfaire aux besoins alimentaires de la famille pendant un plus grand nombre de mois que les foyers dirigés par des hommes. Pour survivre, les femmes ont limité le nombre de repas du foyer pendant les bons mois et ont utilisé des aliments inhabituels, par exemple, des aliments sauvages.
Nous avons également découvert que les foyers qui possédaient des superficies de terres plus importantes ou des terres de meilleure qualité étaient mieux protégés contre la hausse des prix des aliments. Il est donc crucial, pour protéger les ruraux pauvres de la flambée des prix des produits alimentaires, de renforcer la capacité des femmes à posséder des terres et à les contrôler.

Incitations en faveur d'une gestion durable

Deuxièmement, la garantie des droits fonciers incite les femmes à gérer leurs terres de manière plus durable en plantant des arbres et en optant pour des techniques agricoles plus pérennes. Les travaux de l'IFPRI au Ghana montrent que les femmes ont plus de chances de planter des cacaoyers sur les terres sur lesquelles elles possèdent des droits de propriété privés et garantis. Lorsque les femmes ne disposent pas de droits fonciers garantis, les pratiques à long terme comme la plantation d'arbres sont délaissées, les femmes ayant tendance à raccourcir le cycle de rotation des cultures pour favoriser la production à court terme, ne laissant pas à la terre suffisamment de temps pour se reposer et retrouver sa fertilité. En Éthiopie, l'enregistrement communautaire des terres a renforcé les droits fonciers des femmes. Nous avons découvert que les foyers qui possèdent davantage de terrains enregistrés ont plus de chances de planter des arbres et que la probabilité de plantation d'arbres augmente sur les parcelles gérées par des femmes disposant de droits garantis.

Pouvoir de négociation accru avec impacts intergénérationnels

Troisièmement, la garantie des droits fonciers améliore le pouvoir de négociation des femmes au sein du foyer. Ce phénomène est important car les hommes et les femmes dépensent généralement leur argent de manière différente. Les femmes ont tendance à consacrer l'argent à l'alimentation, aux soins et à l'éducation de leurs enfants, c'est-à-dire qu'elles investissent dans la génération future tout en contribuant à la réduction globale de la pauvreté. Ces impacts intergénérationnels sont importants.

L'IFPRI a analysé l'impact des changements récemment apportés au droit de la famille en Éthiopie (renforcement des droits à la propriété des femmes en cas de divorce) et a découvert que les femmes qui pensent que leur mari récupérera toutes les ressources en cas de divorce ont le sentiment d'être moins maître de leur vie. Les enfants des foyers dans lesquels les femmes estiment qu'elles obtiendront moins en cas de divorce travaillent également moins bien à l'école par rapport aux autres enfants du même âge, les filles de ces foyers obtenant des résultats encore moins bons que les garçons.
Au Bangladesh, les programmes de développement agricole ciblés sur les femmes ont permis de réduire l'écart entre les femmes et les hommes pour la possession de ressources, d'améliorer le statut nutritionnel des femmes et de réduire la proportion de filles souffrant de retard de croissance.

Les législateurs et les praticiens du développement commencent à prendre conscience du problème : un certain nombre de gouvernements africains (au sud du Sahara) ont promulgué des lois offrant davantage de garanties aux femmes en termes de droits fonciers. Certains États indiens ont également commencé à émettre des titres de propriété foncière sur lesquels figurent à la fois le nom du mari et celui de la femme. Plusieurs organisations de la société civile ont développé les campagnes de formation juridique de base, en faisant appel à des travailleurs communautaires de l'aide juridique, afin de sensibiliser les populations à leurs droits et de leur apprendre à défendre leurs intérêts. Des progrès ont été réalisés, mais ils sont lents et très insuffisants. Nous revenons donc à la question de départ : pourquoi faut-il garantir les droits fonciers des femmes ? La réponse est simple : parce que l'avenir en dépend.

À propos de l'auteur : économiste, Agnes Quisumbing dirige un programme mondial de recherche sur le genre et les ressources à l'IFPRI (International Food Policy Research Institute). Elle avait, auparavant, mené un programme d'études impliquant plusieurs pays et visant à étudier, entre autres, l'impact des différences de pouvoir de négociation au sein du foyer sur le bien-être individuel et sur le bien-être du foyer. Elle a travaillé sur les questions du genre et de la propriété foncière au Bangladesh, en Éthiopie, au Ghana, en Indonésie et aux Philippines dont elle est originaire.

Responsable à contacter: Agnes Quisumbing
IFPRI – International Food Policy Research Institute
Washington, D.C., USA
a.quisumbing@cgiar.org

 

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