Membres de la communauté participant à une réunion du gouvernement territorial autonome de la Nation Wampis (GTANW), Pérou.
Photo: Elena Campos-Cea / GTANW

Protocoles CPLE – rééquilibrer les pouvoirs en changeant les règles du jeu ?

Pour opérationnaliser leur droit internationalement reconnu de consentement préalable, libre et éclairé (CPLE), de nombreux peuples autochtones élaborent des protocoles CPLE. L’auteur explique ce qu’il y a derrière ces instruments et donne un aperçu des expériences communautaires dans lesquelles ils ont été utilisés à ce jour.

Par Cathal Doyle

Les protocoles des peuples autochtones régissant les relations avec des tiers sont inscrits dans leurs lois et coutumes transmises selon la tradition orale et trouvent occasionnellement un écho dans des traités et accords signés avec des États et d’autres acteurs. Le droit international contemporain des droits de l’homme les reconnaît comme peuples investis du droit à l’autodétermination, à la terre, aux territoires et aux ressources, et libres de déterminer leur développement social, économique et culturel.

Pour préserver ces droits, leur consentement préalable, libre et éclairé (CPLE) est exigé chaque fois que des activités externes peuvent avoir un impact sur elles. Malgré cela, les expériences de mise en œuvre du CPLE sont décevantes. Le contrôle de la reconnaissance et de la définition du CPLE reste aux mains des États et des grandes sociétés et est séparé des droits des peuples autochtones à l’autogouvernance, ainsi qu’à leurs droits territoriaux et culturels.

Au lieu de protéger les droits des peuples autochtones, la consultation et le « CPLE » deviennent ni plus ni moins des exercices de cases à cocher utilisés par des entités extérieures pour légitimer de manière coercitive l’ampleur sans précédent des projets miniers, agroalimentaires, énergétiques et infrastructurels sur les terres des peuples autochtones, avec de graves conséquences pour leur bien-être et leur survie.  

Une réaction de plus en plus courante des peuples autochtones consiste à codifier leurs lois et règles de gouvernance sous la forme de consultation et de protocoles, lois et politiques CPLE (désormais protocoles CPLE), dans lesquels elles définissent comment elles doivent être consultées et comment leur CPLE doit être recherché. Ils traduisent la conception du CPLE des peuples autochtones comme une manifestation de leur contrôle sur le développement de leurs territoires et considèrent qu’elle est inséparable de leurs diverses pratiques décisionnelles, lois et coutumes.

Cette pratique est apparue au début des années 2000 lorsque les Premières Nations canadiennes ont élaboré des protocoles, des modèles et des politiques leur permettant de négocier directement avec les compagnies minières. Une seconde vague de « protocoles bioculturels » est apparue vers la fin des années 2000 dans le contexte des accords d’accès et de partage des avantages en vertu de la Convention sur la diversité biologique, mais ils ont tendance à avoir une portée limitée sur les obligations de l’État concernant le CPLE.

La troisième vague de protocoles CPLE a suivi l’adoption de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ; il s’agit d’instruments d’autogouvernance qui abordent la question des obligations de l’État et des entreprises et celle des droits des peuples autochtones en vertu du droit international et national, ainsi que du droit coutumier autochtone. Ils sont courants dans les Amériques et des communautés d’Argentine, de Belize, du Brésil, du Canada, de Colombie, de Costa Rica, du Chili, de l’Équateur, du Guatemala, du Guyana, du Honduras, du Paraguay, du Pérou, du Suriname et des États-Unis en ont élaboré ou en élaborent actuellement.

Une reconnaissance croissante

Ces protocoles CPLE sont de plus en plus reconnus par les instances judiciaires et quasi-judiciaires nationales, régionales et internationales telles que les procureurs généraux au Brésil, le médiateur argentin, les cours fédérales et constitutionnelles du Brésil et de Colombie, la Commission interaméricaine sur les droits de l’homme, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, le Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, le Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones, le Groupe de travail des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme, et par des instances internationales telles que le Haut-commissariat aux droits de l’homme, le Programme des Nations unies pour le développement et le Fonds vert pour le climat.

La mise en œuvre en est encore à son premier stade mais on connaît plusieurs exemples positifs. Les protocoles des Premières Nations canadiennes s’appuient sur les accords de revendications territoriales pour déterminer si, et comment, un consentement est accordé aux compagnies minières, et certains ont été utilisés pour négocier des ententes sur les répercussions et les avantages et pour définir les engagements contractuels de consentement d’exploitation minière, ou invoqués dans le cadre d’injonctions contre l’exploitation minière.

Le protocole CPLE des habitants de Palenque, d’ascendance africaine, a été confirmé dans une décision de la cour constitutionnelle de Colombie et utilisé post-facto pour réglementer la réalisation d’évaluations de l’impact pour un grand barrage hydroélectrique. Au Honduras, la population autochtone Miskitu a utilisé son protocole dans le cadre d’une consultation avec l’État et le BG Group pour se mettre d’accord sur certaines conditions avant le début de l’exploitation de pétrole.

Des communautés du Brésil, du Suriname, de Belize, de Costa Rica et d’Équateur élaborent, utilisent ou envisagent d’élaborer des protocoles dans le contexte de projets REDD+. Aux Philippines, le protocole CPLE du peuple Subanon a contribué à catalyser la réforme des lignes directrices nationales de consultation CPLE pour qu’elles soient culturellement plus appropriées et conformes aux droits coutumiers. L’accord 2019 de partage des avantages entre les peuples Khoïkhoï et San, d’une part, et l’industrie sud-africaine du rooibos, d’autre part, exige un protocole CPLE pour accéder à leurs connaissances traditionnelles, alors qu’au Kenya, au Zimbabwe, au Népal et aux États-Unis, les peuples autochtones ont invoqué leurs protocoles dans le cadre d’engagements avec les gouvernements, des entreprises, des institutions financières et des organisations internationales.

Exemples emblématiques au Brésil et en Colombie

Les Juruna, un des peuples du rio Xingu, dans l’État de Pará, au Brésil, ont finalisé leur protocole en 2017 lorsqu’ils ont été confrontés au projet minier Belo Sun en l’absence de consultation préalable ou de CPLE, et après une expérience très négative avec le barrage de Belo Monte. Une caractéristique notable de ce protocole est qu’il met l’accent sur leur rôle dans l’élaboration d’évaluations participatives de l’impact sur l’environnement.

En 2018, les Juruna ont eu gain de cause dans une affaire portée devant la Cour fédérale, qui a suspendu le projet minier de Belo Sun et confirmé la nécessité de respecter leur protocole CPLE, ce qui a donné une raison environnementale pour invalider l’exploitation minière. Cette affaire a également incité les peuples autochtones de Xingu à insister pour que les organismes publics respectent leur protocole dans le cadre de la construction proposée d’une route et du développement de la Central West Integration Railway, et pour que les investisseurs internationaux s’assurent que le CPLE est confirmé par des accords qui ne sont pas rejetés par les peuples autochtones.

En 2012, après l’octroi de concessions minières sans consultation dans le Resguardo Indígena Cañamomo Lomaprieta, Caldas, Colombie, les Embera Chamí ont élaboré un protocole CPLE dans le contexte de leur cadre réglementaire régissant l’exploitation minière dans leur territoire. En 2016, la Cour constitutionnelle de Colombie a confirmé que l’État doit respecter les protocoles des Embera Chamí.

En mars 2024, le Resguardo a préparé un protocole CPLE qui sert de modèle aux peuples autochtones de Colombie et d’ailleurs. Il aborde l’évolution de la jurisprudence et des normes internationales, nationales et régionales et met le droit autochtone au centre du processus décisionnel, en identifiant sa pertinence face à de nouvelles menaces, par exemple les marchés de la nature. Le protocole CPLE a eu un effet dissuasif puisque aucune entreprise n’a pu entreprendre d’activités minières à grande échelle dans le Resguardo depuis son adoption. Toutefois, en Colombie et ailleurs, les multiples manœuvres d’intimidation, menaces de mort, attaques et assassinats de leaders communautaires posent d’énormes problèmes à la mise en œuvre des protocoles CPLE par les peuples autochtones.

Opportunités et défis

Une caractéristique principale de l’élaboration de protocoles CPLE est leur contribution au renforcement des structures représentatives des peuples autochtones et des mécanismes de consultation interne, le renforcement de l’unité communautaire, la densification des réseaux avec les organisations autochtones régionales, et l’amélioration de l’accès aux ressources techniques, politiques et financières – autant de déterminants clés de résultats positifs dans les consultations avec les acteurs externes.

Autre avantage de leur développement : en définissant ce que CPLE signifie dans leur contexte particulier, les peuples autochtones peuvent imprégner le droit international de leurs droits coutumiers et de leurs points de vue. Cela encourage ensuite les instances internationales et gouvernementales – y compris les tribunaux – qui reconnaissent les droits autochtones, à insister sur de telles interprétations et à ne pas considérer que les acteurs publics sont les seuls interprètes légitimes des droits de l’homme collectifs des peuples autochtones au niveau national.

En tant qu’instruments juridiques ancrés dans des organismes distincts de droit international, national et autochtone, ils servent de vecteurs de la pluralité juridique et offrent des réponses pragmatiques et constructives aux questions de savoir pourquoi et sous quelles conditions un CPLE est exigé et comment et par qui il doit être obtenu.

D’importantes difficultés restent à surmonter pour que les protocoles CPLE réalisent leur plein potentiel. Le refus de nombreux États à reconnaître les droits des peuples autochtones et à réformer les cadres législatifs et politiques continue de restreindre l’autonomie et les droits territoriaux.

À ce manque de reconnaissance des droits viennent s’ajouter la discrimination et l’incompréhension à l’encontre des cultures et des systèmes juridiques autochtones, ainsi que l’énorme influence des compagnies minières, énergétiques et agroalimentaires sur les processus décisionnels ayant une incidence sur les droits des peuples autochtones. La présence d’acteurs armés et illégaux et l’incapacité à lutter contre les préjudices dus aux activités de développement imposées de l’extérieur sont des obstacles majeurs à l’élaboration et à la mise en œuvre des protocoles CPLE.

Perspectives

Les peuples autochtones élaborent des protocoles CPLE de bonne foi, comme un moyen proactif d’opérationnaliser leurs droits internationalement reconnus au CPLE. Toutefois, le refus des États et des entreprises de respecter les droits collectifs que le CPLE vise à protéger fait que, au lieu d’être utilisés pour réglementer les consultations, les protocoles CPLE servent avant tout à renforcer l’autogouvernance et la mobilisation politique, pour l’éducation, et comme moyen de résister aux projets qui contestent les droits.

La reconnaissance croissante de l’autorité des protocoles CPLE par les droits de l’homme régionaux et internationaux, les organismes internationaux de développement, les bailleurs et certains acteurs nationaux, est encourageante. Élaborés dans des contextes locaux particuliers, les protocoles CPLE valent plus que la somme des éléments qui les composent.

Comme de plus en plus de peuples autochtones en élaborent et exigent qu’ils soient respectés, leur impact va aller croissant. L’émergence, dans ce domaine, d’un ensemble de pratiques des peuples autochtones pourrait, à terme, créer une réglementation de-facto des processus CPLE et de consultation, conformément au droit international des droits de l’homme et au droit coutumier autochtone que les États, les grandes entreprises et les organisations internationales ne peuvent ignorer.

L’aide juridique, technique et financière de la communauté internationale qui habilite les communautés à faire valoir leurs protocoles selon des processus judiciaires et quasi-judiciaires et leur donne la possibilité de tirer parti des expériences des autres grâce à des échanges entre les communautés au niveau national, régional et international, pourrait contribuer à catalyser ce changement transformatif dont on a tant besoin et à mieux préparer les peuples autochtones à réaliser leurs droits territoriaux et à l’autonomie gouvernementale.


Cathal Doyle est coordinateur du programme des droits juridiques et humains dans le cadre du Forest Peoples Programme (FPP) et est membre fondateur du réseau européen sur les peuples autochtones (European Network on Indigenous Peoples – ENIP). Cathal est docteur en droit international et a travaillé comme chargé de cours à la Middlesex University School of Law, Royaume-Uni. Il a été le principal auteur du rapport de l’ENIP sur les protocoles CPLE qui donne des précisions sur ces questions ; voir : https://enip.eu/CPLE/CPLE.pdf (en anglais)
Contact: cathal@forestpeoples.org

 

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